Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) Région: Guyane

La Guyane révèle son passé amérindien

Longtemps confinés au littoral, les archéologues fouillent désormais au cœur de la jungle. Leurs découvertes bouleversent les connaissances sur les premiers habitants, installés il y a 7000 ans.



Mais qui étaient-ils ?

Chef Galibi, village amérindien de Paddock © photo Yvan Marcou
Nous sommes à Saint-Louis, un des villages de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, à 268 km à l'ouest de Cayenne, le chef-lieu du département de la Guyane. Quelques hérons blancs survolent en criant le fleuve Maroni dans lequel se reflètent les édifices défraîchis du Petit Paris, autre village, tout proche de Saint-Louis. Ce quartier a abrité jusqu'en 1945 l'administration pénitentiaire coloniale en charge de l'un des plus terribles pénitenciers de la République, le fameux bagne dit de Cayenne.

Pour l'heure, à la grande satisfaction de l'archéologue, la zone des fouilles se révèle riche : elle livre les traces de ce qui pourrait bien être un antique village. Rien de gigantesque comme les vastes “cités oubliées” précolombiennes. “Oubliez Tikal, Teotihuacan ou le Machu Picchu, les cultures monumentales des hautes civilisations de la MésoAmérique et des Andes”, plaisante Sylvie Jérémie. Sur ce territoire, on trouve juste 86 000 km2 (un sixième de la France) d'une exubérante forêt vert émeraude dont les archéologues de l'Inrap commencent à peine à percer les secrets. “En Guyane, l'enjeu majeur est d'établir une chronologie des plus anciennes occupations humaines, car le sujet donne encore lieu à des débats houleux”, précise l'archéologue. Ainsi, sur le plateau des Guyanes - massif géologique s'étendant du Venezuela au Brésil -, tout tournait il y a peu encore autour de l'identification de deux principales populations, baptisés d'après les sites archéologiques éponymes : les Aristé, qui auraient évolué du milieu du Ve au XVIe siècle environ, et les Koriabo, qui auraient vécu du VIe au XIIIe siècle.

Mais les récentes découvertes sont en train de bouleverser ce schéma. “Nous avons connu un premier tournant dans notre travail au cours des années 1990. Après les fouilles de sauvetage liées à la construction par EDF du barrage hydroélectrique de Petit-Saut, les opérations d'intervention préventives n'ont cessé de se multiplier”, explique Sylvie Jérémie. Et la vraie révolution, récente, a consisté à pénétrer en profondeur dans la forêt infranchissable en profitant des engins de chantier disponibles. “Nous intervenons sur les sites où vont s'édifier des barrages, s'ouvrir des routes ou des exploitations minières”, poursuit Sylvie Jérémie.

Ces énormes surfaces de fouilles offrent aux scientifiques des possibilités d'étude des sols incomparables en Guyane intérieure alors que jusque-là, seule la bande littorale avait pu être explorée. “Les récents travaux effectués à Kourou sur l'emplacement du futur pas de tir du lanceur russe Soyouz contribuent à cette réécriture du peuplement ancien de la Guyane”, explique Martjin Van Den Bel, de l'Inrap. “Avec l'étude du site Eva 2, sur le domaine du Centre national d'études spatiales (Cnes), nous avons obtenu la preuve que ce territoire était occupé depuis 7000 ans alors que nous pensions qu'il ne l'était que depuis 3000 ou 4000 ans”, poursuit Sylvie Jérémie. Au cours des dernières années, un ensemble de datations par radiocarbone réalisées sur différents gisements dont Kourou et le site du plateau des Mines, près de Saint-Laurent-du-Maroni, ont révélé des traces de présences humaines antérieures à 5000 ans avant J.-C. d'un côté, et 4200 ans avant J.-C. de l'autre. Soit les premiers sites archéologiques anciens dûment datés en Guyane.

“Ce que nous savons désormais, c'est que la région a été occupée en continu, et que des groupes humains revenaient de façon récurrente dans certains lieux pour y prélever du quartz, fabriquer des outils, des haches ou des pointes de flèches”, ajoute Mickaël Mestre, jeune archéologue de l'Inrap. Dans l'immense forêt, en effet, les ressources en minéraux tel le quartz ne se rencontrent pas n'importe où. Ce qui a contraint les populations de chasseurs- cueilleurs à vivre dans une mobilité permanente pour s'approvisionner en matières premières. “Mais surtout, et c'est l'une des grandes révélations de ces dernières années, elles le font dès 5000 avant J.-C. dans un espace qui semble structuré”, note le spécialiste. Autre enseignement important apporté par ces recherches novatrices : aussi vierges et impénétrables qu'elles nous apparaissent aujourd'hui, les forêts auraient été habitées par endroits, comme le montrent des travaux récents fruits d'une collaboration entre écologues et archéologues. “Contrairement à ce que l'on pensait, la végétation et les sols ne retournent pas à l'état naturel après avoir été occupés par l'homme. Ils sont marqués d'une empreinte quasi irréversible”, confie Bruno Hérault, biogéographe à l'UMR EcoFog. Cette unité mixte de recherche contribue à l'éclosion de nouvelles voies scientifiques au sein d'un programme baptisé Amazonie II qui propose une approche environnementale des plus prometteuse.
[“La reconquête du milieu naturel entraîne toujours, après son abandon, des modifications floristiques”, commente le chercheur qui fait “parler” les arbres. D'après les botanistes, la structure et la composition végétales d'une forêt constitueraient une sorte de “traceur historique”, que l'on pourrait quasiment “lire” grâce à la progression ou la régression de certaines espèces. i[“Il nous est par exemple possible de dater une végétation “secondarisée”. De distinguer des abattis récents et anciens, ou encore d'antiques placers d'orpailleurs, voire des occupations remontant à deux ou trois siècles”, déclare Bruno Hérault. De quoi ébranler le concept de “forêt vierge” qui, pour certains botanistes, n'existerait tout simplement pas ! L'utilisation d'un laser aéroporté Lidar est également venue confirmer ces occupations forestières anciennes en détectant des structures invisibles depuis le sol mais présentes sous le couvert végétal. On a ainsi décelé des “sites à fossés” ou “montagnes couronnées”, des sommets de collines fortifiés de plusieurs hectares ceints par des fosses dont on a retrouvé les profonds talus dans différentes régions de Guyane. Ces constructions, inconnues jusqu'à présent, avaient probablement une vocation défensive, à l'image des “mottes” connue en France à l'époque médiévale. Toutes avaient été complètement englouties sous la végétation. “A l'arrivée des premiers Européens vers 1503, des chroniques historiques semblent faire état de l'existence de collines occupées, et mentionnent la présence d'une grande diversité de sociétés guerrières”]i, rappelle Sylvie Jérémie.

Mais qui étaient ces populations ? Que représentaient ces sites ? Etait-ce des “villages”, des refuges, des lieux de culte ? Etaient-ils caractéristiques de certaines ethnies ? Autant de questions auxquelles il est pour l'instant bien difficile de répondre. “Ce que l'on constate, c'est que sur des buttes de 100 mètres de diamètre, il y a des fossés de plus de trois mètres de profondeur et dix de large ! remarque Mickaël Mestre. Des constructions d'ampleur jamais décrite dans cette partie du monde et qui ont dû mobiliser une grande quantité d'individus pour leur édification ! ” Une vision très éloignée de l'idée habituelle d'une forêt occupée seulement par quelques hameaux de huttes.

“ Pour en comprendre le sens, ces découvertes nous obligent surtout à être très attentifs au filtre que constitue l'ethnographie”, insiste Sylvie Jérémie. Car les archéologues de Guyane sont confrontés à une difficulté ignorée par leurs collègues du Vieux Monde : la présence de populations amérindiennes au mode de vie sans doute encore assez proche de celui pratiqué il y a plusieurs siècles, voir plusieurs milliers d'années, par les anciens occupants. Aussi faut-il éviter le chevauchement des données ethnographiques issues du monde contemporain et de celles datant de temps plus anciens. “Du reste, la plupart des Indiens actuels de Guyane ne sont arrivés qu'au 18ème siècle, et n'ont donc rien à voir avec les vestiges des populations antérieures que nous découvrons”, signale Sylvie Jérémie.

A quoi ressemblait un village amazonien il y a 7000 ans, à l'époque des plus anciens occupants ? Etait-ce un espace ouvert ? Etait-il constitué d'une “grande place” avec des habitats autour, comme chez les actuels Yanomami ? A-t-il existé des sites “urbanisés”, des sociétés plus complexes et hiérarchisées, des chefferies, aujourd'hui totalement disparues ? Une hypothèse qu'un nombre grandissant de spécialistes de l’Amazonie sont de plus en plus enclins à accréditer, en particulier dans la partie brésilienne. Un article récent publié par Michael Heckenberger (université de Floride) dans la revue Science exposait ces nouvelles pistes d'investigation. Des énigmes qu'une poignée de chercheurs présents du côté des Guyanes essaient eux aussi de résoudre, dans un domaine aux dimensions vertigineuses.
Sources: Sciences & Avenir - septembre 2009 par Bernadette ARNAUD

L'UMR EcoFog associe l'université des Antilles-Guyane, l'Inra, le Cirad et l'Inrap pour étudier, dans le cadre du programme Amazonie II, les paléopaysages et l'impact de l'homme sur l'environnement.

Pour en savoir plus:
Archéologie des Antilles et de la Guyane, par Sylvie Jérémie, sous la direction de J.-R Démoule et J.-P. Jacob, coll. Archéologie de la France, La Découverte, à paraître, 2010. Science, août 2008. Vol. 321, n° 5893 (en anglais).

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Lundi 28 Septembre 2009
Yvan MARCOU
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